Je suis psychologue clinicienne à Bruxelles et je suis spécialisée dans les troubles du narcissisme. Le narcissisme est une notion complexe que je vais tenter de résumer dans cet article. Si vous souffrez de troubles du narcissisme ou si vous vous trouvez sous l’emprise d’une personnalité narcissique, je vous invite à consulter un psychologue.
Qu’entend-on vraiment par narcissisme ? Dans la définition populaire, le narcissique serait quelqu’un ayant une grande confiance en lui et décrit comme généralement imbu de lui-même.
Si cette définition est juste en partie, le narcissisme qui suscite bien des fantasmes aujourd’hui, est une notion très complexe à saisir dans toute sa réalité.
C’est Sigmund Freud en 1913 qui est l’origine de la notion, il explique notamment comment elle prend ses origines dans l’enfance. Nous parlerons du développement de cette pathologie et des conséquences qu’elle peut avoir sur l’individu et son entourage.
Nous parlerons ensuite du pervers narcissique qui est un cas particulier de la personnalité narcissique. La notion de pervers narcissique a été introduite par Paul-Claude Racamier en 1986. Or, contrairement à croyance populaire, le pervers narcissique ne regroupe pas tous les troubles du narcissisme, il en constitue un cas particulier.
Les enquêtes montrent que 6,2 % de la population souffre d’un trouble du narcissisme, ce chiffre est probablement sous-estimé car peu de narcissiques font appel à un psychologue car ils n’ont pas conscience de leur pathologie. Cependant, ce chiffre comprend les troubles de la personnalité narcissique dans leur ensemble et non seulement les pervers narcissiques.
Et si nous en parlions?
Je suis psychologue clinicienne et psychothérapeute à Bruxelles, je suis spécialisée dans les questions relatives au Narcissisme et pervers narcissique
La notion de narcissisme et ses origines.
Le narcissisme se construit dans les premières années de la vie et se fixe généralement dans l’enfance en lien avec la qualité des relations parents-enfants comme l’a démontré Freud lors de l’introduction de la notion. C’est en 1913 dans son ouvrage « La disposition à la névrose obsessionnelle », qu’il le mentionne pour la première fois. Il développera plus largement le concept dans son ouvrage « Pour introduire le narcissisme » 1913,
Tout au début, Le bébé ne comprend pas au début que les sensations qu’il ressent (biberon, caresse, soins divers), provient d’un Autre. II ne perçoit pas les personnes qui s’occupent de lui comme extérieures à lui et se sent de ce fait omnipotent avec l’illusion de se satisfaire lui-même. C’est ça le narcissisme.
Petit à petit, l’enfant va se rendre compte qu’il dépend des autres pour ses besoins, pour sa survie avec l’ambivalence que cette prise de conscience vient révéler.
Tout sujet doit faire le deuil de l’illusion de la toute-puissance des premiers moments où il pense pouvoir satisfaire tous ses besoins pour découvrir qu’au bout du sein ou du biberon, il y a une mère dont il dépend. La prise de conscience d’un soi et d’un non soi débute. L’enfant passe du sentiment d’autosuffisance (narcissisme total) à la prise de conscience de l’autre et puis plus tard à l’amour de l’autre.
Comment devient-on narcissique ?
Quelle est la cause du narcissisme ?
Dans la suite du développement, les parents doivent faire suffisamment attention aux rêves, espoirs, tracas et déceptions de leur enfant, sans non plus coller sur lui, déceptions et frustrations liés à leur propre histoire.
Si l’enfant se sent respecté dans son statut d’enfant avec des limites claires, il va acquérir un sentiment de sécurité, de valeur personnelle et d’empathie pour le monde extérieur. Il aura conscience de lui et conscience des autres.
Mais si l’enfance a été parasitée par des projections parentales (intrusion du monde de l’enfant par la propre souffrance d’enfant des parents), de négligence et d’abus, il est impossible de s’accorder de la valeur et de développer un narcissisme sain.
Quelque soit la configuration, le dénominateur commun, est que « l’enfant futur narcissique » n’est jamais reconnu dans sa particularité d’enfant avec sa personnalité et ses besoins propres. On ne l’aide pas à grandir, il est une extension des parents au service de leur propre narcissisme.
Le narcissique ne voudra alors plus jamais dépendre de personne car la relation à ses parents a été trop difficile.
Paradoxalement il aura besoin de l’admiration et de la validation des autres pour nourrir son ego fragile. Il veillera d’abord à les posséder pour les rendre inoffensifs et pour éviter à tout prix d’être à nouveau éconduit, abandonné.
Cette recherche de validation constante va fausser tous les rapports humains et mener souvent à des comportements autodestructeurs.
La personnalité narcissique.
Quels sont les signes d’une personne narcissique ?
Les dénominateurs communs à toutes les personnalités narcissiques sont les suivantes, comme énoncé dans le DM5, « Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux », 2013.
- Sens grandiose de sa propre importance ;
- Est absorbé par des fantaisies de succès illimité, de pouvoir et de splendeur ;
- Pense être « spécial » et unique ;
- A un besoin excessif d’être admiré ;
- Pense que tout lui est dû ;
- Exploite l’autre dans les relations interpersonnelles ;
- Manque d’empathie ;
- Envie souvent les autres, et croit que les autres l’envient ;
- Fait preuve d’attitudes et de comportements arrogants et hautains.
La pathologie du narcissisme est un continuum, il existe un spectre du narcissisme allant de l’individu assez inoffensif même si peu empathique au psychopathe prédateur.
Entre ceux-là, toutes les nuances et configurations sont possibles.
C’est dans la littérature américaine que la notion de « spectrum » du narcissisme a été établi et plus spécifiquement par Craig Malkin, dans son ouvrage : « Rethinking Narcissim », 2016, qui n’a pas été traduit en français.
Cette notion est cependant capitale et peu comprise par la littérature française qui a tendance à confondre narcissique et pervers narcissique. Or, les pervers narcissiques sont loin d’être la norme, ils sont tout à la fin du spectre et constitue la catégorie la plus dangereuse.
En règle générale, le narcissique n’a pas conscience de sa pathologie, Il ne cherche pas délibérément à faire du mal, c’est un instinct de survie dont il ignore tout.
Quand on n’a pas conscience de sa folie, on ne peut se remettre en question.
C’est pour cela que plus on est dans la folie moins on a en conscience et moins on va se faire soigner.
C’est quoi quelqu’un qui est narcissique ?
Souvent exaltés, ils parlent d’eux avec frénésie, se perdant souvent dans des monologues interminables à leur propre gloire.
Pour un détail, ils peuvent se mettre en colère de manière complètement disproportionnée. Ils sont méprisants dans leur propos car personne n’est jamais à la hauteur.
Comme ils ne sont pas en contact avec leurs émotions, ils projettent tout sur l’autre. S’ils sont fâchés, ils vont vous faire croire que c’est vous. S’ils sont énervés, ils vont tout faire pour vous mettre dans le même état qu’eux.
Leur vie consiste à chercher à se valoriser dans le regard des autres.
Du coup, c’est les autres qu’ils épuisent. On ne peut exister quand on est avec eux, on n’est toujours réduits à un rôle de faire valoir et on les quitte se sentant interrogatifs, confus et souvent en colère sans vraiment savoir pourquoi !
Le pervers narcissique
Comme cité plus haut, le trouble de la personnalité narcissique est beaucoup plus répandu que la perversion narcissique. Chacun de nous a plus d’un narcissique dans son entourage, cependant si vous pensez avoir croisé comme beaucoup de personnes à l’heure actuelle, la route d’un pervers narcissique, il est possible que ce ne soit pas le cas, car généralement on ne le pense pas, on le sait.
Comment reconnaitre un narcissique en couple ?
Cette expérience est extrêmement traumatique et laisse des traces indélébiles sur la confiance que l’on peut avoir dans le genre humain. On en sort vidée, traumatisée, doutant de soi et de tout.
« Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut juste espérer sans sortir indemnes ! » Paul-Claude Racamier.
La perversion narcissique est une modalité particulière du narcissisme qui se traduit par un besoin constant de dégradation du monde extérieur pour se sentir valorisé et lutter contre des angoisses dépressives qui viennent de l’enfance.
Le pervers narcissique est un narcissique extrêmement abimé avec un ego extrêmement fragile et qui aura donc un besoin compulsif de l’autre dont il se servira comme un médicament.
Comment reconnaitre un pervers narcissique en couple ?
Il va vraiment chercher à dégrader activement l’autre, contrairement au narcissique qui lui se comporte de manière complètement autosuffisante mais sans acharnement particulier.
Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste qui s’est beaucoup intéressé au sujet et spécialement dans brillant ouvrage : « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien », 2003.
Elle mentionne que dans la perversion morale comme la perversion narcissique, il s’agit de s’annexer le psychisme de l’autre et de le détruire à petit feu afin de triompher. C’est cela que l’on appelle l’emprise, on cherche à s’approprier le psychisme d’autrui pour son propre confort psychique. On traite l’autre comme un ustensile.
« Le pervers narcissique est un narcissique au sens qu’il entend ne rien devoir a personne et c’est un pervers en ce sens qu’il compte bien faire payer à autrui le prix de ces désillusions » Paul-Claude Racamier.
Il se venge de son enfance en dégradant l’autre et en triomphant de lui car il n’a pu triompher contre ses parents. Des lors, il pense redevenir omnipotent en réduisant l’autre à néant. Tu n’es rien et je n’ai pas besoin de toi.
De la part de la victime, le PN n’attend que la démonstration de sa propre force, il cherche l’admiration et non la reconnaissance.
Il n’y a pas de satisfaction obtenue de la fréquentation de l’autre mais une jubilation tirée d’une impression de supériorité, de triomphe sur l’autre et c’est bien en cela que c’est très pervers.
On ne parle pas d’amour dans la perversion mais d’emprise comme moyen exclusif de rentrer en contact avec l’autre.
L’autre est progressivement vidé de sa personnalité, perdant estime de soi, sens de la réalité. Il va douter de ses perceptions psychiques jusqu’à parfois être totalement détruit psychiquement.
Les stades de la relation avec un pervers narcissique.
Au début, Il va étudier l’autre pour trouver ses failles affectives et tenter de s’offrir comme le remède. Il flatte énormément dans un premier temps, faisant croire à la promesse d’un amour idyllique, un amour de conte de fées.
La rencontre est irréelle, il est charmant, spirituel, très empathique, vous comprend tellement que la parole n’est presque pas nécessaire…son amour semble inconditionnelle, indestructible…
Et surtout c’est incroyable, il aime exactement les mêmes choses que vous. Qui n’a pas eu le fantasme de l’âme sœur ? Eh bien les pervers narcissiques vont vous l’incarner ! Avec eux vous serez aimés comme vous ne l’avez jamais été auparavant, c’est garanti !
A toutes petites touches, l’illusion va progressivement se ternir. C’est d’abord une petite phrase qui n’a l’air de rien, « cette jupe te fait des gros mollets », « tu as un bouton sur la joue là ». On se sent un peu déstabilisé, mais de toute façon rien de mauvais ne peut venir de lui, il m’aime tellement, il est tellement bienveillant.
Seulement ces phrases tout d’abord anodines vont s’intensifier. La personne victime commence à se sentir confuse tant ces phrases sont différentes de celles entendues au début.
Le pervers narcissique a retenu tout ce que vous lui avez, saisi toute vos fragilités et sait appuyer pour faire mal.
Petit à petit, la domination s’installe, elle vise un état de dépendance progressive puis de soumission absolue.
La victime est sidérée car elle n’arrive pas à faire coexister ces deux images si différentes.
On cède pour retrouver l’amour d’avant et on s’abandonne soi-même. Le rejet soudain est bien trop insupportable. L’emprise est à présent totale.
La voix compréhensive et empathique a fait place à une voix froide, monocorde et sans affects qui glace, inquiète, laissant affleurer le mépris ou la dérision. Tout ce qui existait de façon insidieuse est maintenant exposé au grand jour, c’est la haine.
L’efficacité de leurs attaques tient au fait que la victime se prenant elle-même comme référant, ne peut pas imaginer que l’on puisse à ce point être dépourvue de sollicitude ou de compassion devant la souffrance d’autrui.
Et pourtant, l’amour n’a jamais existé chez le pervers.
La victime du pervers narcissique
La victime ne voit d’ailleurs pas qu’elle est manipulée, et ce n’est que quand la violence devient trop manifeste que le mystère est levé avec l’aide souvent d’intervenants extérieures.
La victime a senti la souffrance du pervers qu’il lui a montré à voir, pour s’en couper à nouveau très vite. Du fait, elle ressent de l’empathie pour lui et se disent je vais le faire changer. Si je supporte assez, il changera et ceci peut malheureusement durer des années et pour certaines toute une vie.
Les victimes sont souvent des personnes très empathiques qui ont eu un parent problématique dont elles devaient s’occuper et qu’elles ont échoué à sauver. On rejoue le scénario avec l’un des parents en pensant que cette fois-ci l’issue sera heureuse.
Alberto Eiguer, psychiatre et psychanalyste, parle beaucoup du destin entre ses deux personnalités, dans son ouvrage « Le pervers narcissique et son complice », 1989. Il ‘agit d’une rencontre entre deux passés malheureux mais sous des hospices totalement différents.
Comment sortir de l’emprise d’un narcissique ?
La violence perverse confronte la victime a sa faille, aux traumas oubliés de son enfance.
La vulnérabilité à l’emprise s’acquiert dès l’enfance.
Les victimes restent souvent figées et en souffrance. On sait que partir serait leur sauvegarde mais souvent elles ne peuvent le faire tant elles ne sont pas dégagées de leurs propres souffrances
Souvent, elles poussent la porte d’un psychologue en évoquant une dépression, une anxiété inexpliquée, une perte de confiance. Si on parle de la relation, cela devient compliqué, car comme la violence est progressive et très insidieuse, elle n’est souvent pas reconnue de prime abord.
Elles doutent de leurs perceptions psychiques, pensant parfois avoir imaginé tout ça et se pensent souvent responsables de cette violence.
Et c’est à partir de là qu’elles peuvent commencer à retracer ce qui se passe et espérer sortir de cette emprise.
Quand elles prennent enfin conscience de la manipulation, c’est souvent pour s’enfermer dans la honte, celle de n’avoir rien vu !
Elles perdent alors l’estime d’elles-mêmes.
La honte vient de la prise de conscience de la complaisance pathologique qui a permis la violence de l’autre. Il leur faudra pour aller mieux, venir mettre du sens dans tout ça à la lumière de leurs propres histoires.
Comprendre que l’on ne peut revenir aux premiers jours car cette personne des premiers jours n’existait pas.
Comprendre que la haine ne nous est pas destinée.
Il faut lâcher prise et accepter son impuissance à changer l’autre.
Se reconstruire une bonne image de soi pour que la haine de l’autre ne vienne plus jamais pas remettre en question sa propre identité.
Pour sortir de l’emprise, il faut revisiter ce qui s’est passé devant témoin, souvent le thérapeute , pour remettre de l’équité dans les évènements.
Il faut repérer le processus pervers, sortir de la sidération, de la culpabilité
Analyser le problème à froid en considérant que la personne avec qui on est en relation présente un trouble de la personnalité dangereux.
Conclusion : un jeu de dupes.
Entre le pervers et sa victime, c’est bien d’un jeu de dupes qu’il s’agit. L’amour constitue souvent un crime parfait. C’est la rencontre de deux inconscients de deux histoires inachevées donc chacun cherche, dans la rencontre avec l’autre à réécrire la fin.
Le pervers cherchant quelqu’un à détruire pour se prouver que l’amour n’existe pas et la victime quelqu’un a sauvé pour palier souvent au sentiment d’échec qu’elle traine depuis l’enfance.
Le pervers dit : « l’amour est un leurre dangereux et je vais te prouver qu’il n’existe pas, je ne t’aimerai jamais » et la victime « l’amour est tellement puissant qu’il triomphera de tout et je vais te le prouver tellement je vais t’aimer »
On comprend instinctivement qu’entre ces ceux-là la fin ne peut-être que funeste.